Le Figaro-fr Vin La Newsletter du 24 novembre 2016
Le whisky en folie
Pour le laboratoire de la distillerie Glenfiddich, le maître de chai Brian Kinsman travaille sur la nouvelle gamme Experimental Series..
Les Français, consommateurs records de Whisky
Depuis vingt ans, la tendance s’est inversée. En 1995, il restait environ 90 distilleries en activité en Ecosse. Aujourd’hui, elles sont près de 130.
L’année 1995 marque le début du renouveau du whisky en France, explique Thierry Benitah. Autrefois, les distilleries écossaises étaient artisanales, les méthodes de fabrication et de distillation, différentes, et les whiskys plus ou moins secs, plus boisés ou inversement… Les versions des années 1930, 1940 ou 1950 sont souvent surprenantes pour l’amateur d’aujourd’hui mais on ne les trouve plus et les survivantes constituent un vrai marché un peu partout dans le monde. Dans le milieu des années 1970 et jusqu’à la fin des années 1990, le whisky subit une crise. Beaucoup de distilleries écossaises ferment définitivement, d’autres arrêtent de produire car la demande n’est plus suffisante.
La distillerie Arran, fondée en 1995, fut la première créée depuis quarante ans ! Même les whiskys classiques, élevés en fûts de chêne normaux, de 12 ou 18 ans d’âge, deviennent rares et il faut souvent y mettre le prix. Les distilleries les gardent ou les vendent en Asie. Depuis 2015, les demandes de certains pays sont énormes. En Chine, elles augmentent de 1 à 2 millions de bouteilles chaque année et le pays, tout comme Taïwan, Singapour ou les Etats-Unis, est prêt à payer très cher des whiskys âgés qui sont en train de concurrencer le cognac. Depuis dix ans, on assiste à une explosion du prix du whisky. Les tarifs ont été multipliés par dix. De plus, de nombreuses distilleries ont décidé de conserver leurs stocks pour faire vieillir leurs whiskys et le marché, tendu, s’en ressent. Surtout que des groupes comme Diageo (Johnnie Walker, J & B, Cardhu…), Pernod-Ricard (Aberlour, Jameson…), Edrington (The Macallan, The Famous Grouse…), la maison familiale William Grant & Sons (Glenfiddich, Grant’s…), Brown-Forman* (Jack Daniel’s, Woodford Reserve…) et d’autres sociétés qui émergent possèdent 90% des distilleries dans le monde. Leur pouvoir est énorme !
Aujourd’hui, les distilleries écossaises mettent la France sous allocation, ne lui réservant que certains quotas. Le marché des whiskys écossais de 25, 30, 40 ans, devient compliqué. Ils coûtent très cher. Certains consommateurs se tournent vers d’autres spiritueux qui redeviennent à la mode : le rhum (qui prend une part de marché au whisky) et le gin (il en existe des centaines).
Le marché des whiskeys américains fait aussi parler de lui, porté par Jack Daniel’s, marque hors norme, intemporelle, qui pousse la tendance. Mais la France reste le plus gros buveur de scotch whisky au monde et, pour les Français, le whisky est forcément écossais. Le bourbon (whiskey américain) n’a pas la cote et beaucoup pensent même que ce n’est pas un whisky. Alors qu’en Allemagne et au Japon, le bourbon est roi. Finalement, ce sont les deux pays qui ont perdu la guerre et où les Américains se sont installés qui consomment le plus de bourbon !
Le Japon (qui élabore du whisky depuis plus d’un siècle) est, tout comme l’Ecosse, victime de son succès et il a, lui aussi contingenté la France, mise sous allocation. Suntory se concentre, quant à lui, sur le marché américain et les duty-free.
Suite à la forte demande de whiskys, le monde entier crée des distilleries. Les 3 marchés des whiskys tourbés, du rye, du whiskey irlandais suscitent un intérêt grandissant ainsi que les blends écossais ou japonais.
“Depuis les années 2000, nous n’avons jamais vendu autant de blends, confirme Thierry Benitah. Les Français ne sont pas vraiment attachés à la notion de single malt. Aujourd’hui, c’est la puissance des marques qui domine. Même dans les microdistilleries qui vendent des whiskys jeunes, limite consommables. Avec le marketing, c’est au whisky qui aura la plus jolie bouteille, l’étiquette la plus originale, le plus beau coffret.”
Liste d’attente pour une bouteille à… 14.000€
La Maison du Whisky de Thierry Benitah, c’est un site internet (whisky.fr), un salon annuel (Whisky Live), des pépites, des sélections, des trésors, des bouteilles accumulées les trente dernières années mais qui ne sont pas à vendre pour l’instant, des boutiques dont deux parisiennes. Celle de la rue d’Anjou donne des cours d’initiation et recèle environ 2.000 références de whisky, soit à peu près 200 marques issues de 180 distilleries, des bouteilles “collector” (700 références) rarissimes, produites dans les années 1930, 1940 ou 1950 et embouteillées dans les années 1970. “Contrairement au vin, le whisky n’évolue plus, ne vieillit pas quand il est en bouteille”, rappelle Thierry Benitah. A l’occasion de ses 60 ans, La Maison du Whisky met en avant le whisky japonais Karuizawa 1965 (la distillerie a fermé en 2000). “Un whisky très riche, très bon, typé et recherché par les amateurs du monde entier, vieilli en fût de sherry. Le phénomène nous a dépassés et comme nous en avons peu, des consommateurs se sont mis sur liste d’attente.” Et pourtant, son prix frôle les 14.000€…
Normal en somme puisque, en octobre dernier, Artcurial a adjugé au prix de 21.000€ une bouteille de The Macallan 1961 (estimée à 17.000-18.000€) !