Le Figaro-fr Vin La Newsletter du 05 janvier 2017

5 Gennaio 2017 by

Sablez le champagne sans le sabrer !

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L’expression sabler le champagne intrigue beaucoup les amateurs, qui cherchent à deviner quelle opération mystérieuse dissimule ce verbe étonnant. La locution repose en réalité sur une évolution métaphorique de sabler, dont l’oubli complet par la langue moderne autorise les suppositions les plus fantaisistes.

Dès la fin du XVIIe siècle, sabler signifie «jeter prestement», par l’image des vives pelletées de sable que les ouvriers jettent dans une allée, ou encore dans un moule de fondeur. Par métaphore de ce geste banal de sablage, on a dit au XVIIIe sabler du vin, pour le boire d’un trait le jeter, en somme, au fond du gosier: «Sablant une rasade de vin-rosai» (1742, Caylus). Il y avait sans doute la connotation goulue qu’exprimerait de nos jours le très familier «se jeter un verre derrière la cravate».
L’usage de la métaphore fut constant au XVIIIe siècle, où l’on sablait avec plaisir «un verre de vin d’Ay», et, bien entendu, aussi un verre de champagne dont la consommation augmentait à Paris avec une certaine prospérité retrouvée. C’est dans cet esprit de joyeuse insouciance que l’emploie Voltaire dans ces vers souvent cités: «Ce vieux Crésus en sablant du champagne / Gémit des maux dont souffre la campagne.»
J’attire l’attention sur du: ce n’est pas encore le champagne, avec sa marque de célébration, mais seulement une boisson de luxe. Le verbe sabler n’a ici que son acceptation ordinaire de «vider», comme dans cette phrase pré-révolutionnaire de Marmontel: «Il calculait combien une femme de cinquante ans pouvait vivre encore en sablant tous les soirs sa bouteille de champagne» (1787).
Le verbe poursuivit sa carrière, accolé à tout vin en général, durant la première moitié du XIXe siècle une chanson d’Emile Debraux de 1830 dit: «Elle aime à danser la gavotte / En sablant le coup du milieu», c’est-à-dire en avalant cul sec le petit verre d’alcool fort pris au milieu du repas que l’on connaîtra plus tard sous l’appellation «trou normand».

Gare aux éclats de verres lorsque le champagne est sabré!

Ce n’est que peu à peu, de fait assez tardivement, que le verbe «sabler» se fixa sur le seul champagne, oubliant les autres boissons, pour former la locution figée qui nous intrigue par sa singularité. Littré ne la relève que dans son Supplément de 1877, encore n’a-t-elle pas le sens festif que nous lui connaissons aujourd’hui «sabler le champagne» signifie maintenant que l’on boit du champagne en joyeuse compagnie pour célébrer un heureux événement ; il y a une idée de réjouissance et d’abondance.
Déguster une coupe au coin d’un bar, même à deux ou trois, en guise d’apéritif, ce n’est pas un «sabler le champagne», sabler dénote un succès, la réussite d’une entreprise difficile, un exploit sportif, un gain inespéré, que sais-je? La réalisation des désirs. Il faut savoir que cette acception due à la valeur symbolique acquise par le vin de Champagne dans les habitudes sociales est relativement récente. Elle ne semble pas antérieure au début du XXe siècle le Larousse de 1922 ne lui connaît encore que le sens de «boire en abondance» ; au XIXe siècle on disait plutôt dans ce contexte triomphal faire sauter le champagne, qui évoque le bruit du bouchon.
Il ressort de cette analyse que la «tradition» rapportée par Littré sur la foi d’un certain «monsieur Roche, de Marseille», selon laquelle les buveurs du XVIIIe auraient saupoudré la flûte de sucre, afin de faire mousser le liquide, ne peut en aucun cas constituer l’origine de la locution comme l’a pensé trop hâtivement le grand lexicographe. Si cette tradition supposée (dont on ne trouve aucune trace ailleurs) n’est pas une simple galéjade, elle relève probablement de la bizarrerie limitée à quelques familles provençales aimant le vin sucré.
Je ne parlerai pas de sabrer le champagne ; l’opération consiste à décoller l’extrémité du goulot de la bouteille d’un coup sec, à l’aide d’un sabre, ou tout simplement d’un fort couteau de cuisine. Le geste et le mot ont vraisemblablement pris naissance, il n’y a guère, au cours de bamboches soldatesques. L’expression s’appuie par jeu sur la quasi homophonie sabrer et sabler, c’est tout ce que l’on peut dire à part qu’il faut prendre garde, ensuite, aux éclats de verre dans les coupes!

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